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RICHARD WAGNER

Que disait, d’autre part, le XIXe siècle ?

« Richard Wagner est la volonté, l’énergie, l’opiniâtreté incarnées ; comme tous ceux qui s’attachent obstinément à la poursuite d’une idée fixe, on l’a traité longtemps de maniaque. Aujourd’hui, Bismarck et lui, ces deux hommes dont les caractères, sinon les génies, ont tant de traits de ressemblance, sont les dieux de l’Allemagne. L’élite des Germains gallophobes et mélomanes est prosternée à leurs pieds. Bismarck et Wagner ont fait preuve, dans deux sphères d’action bien différentes, du même esprit absolu et systématique, de la même ténacité passionnée, de la même fougue de tempérament, de la même absence de scrupules sur le choix des moyens. L’unité que le diplomate a conquise par adresse ou de vive force dans la politique, l’artiste a essayé de la réaliser dans l’art. »

De ces deux parallèles, le second est peut-être moins forcé que le premier, mais il ne prouve pas davantage pour ou contre l’auteur de Tristan et Iseult.

L’animosité a surtout redoublé contre Richard Wagner depuis qu’on apprit, par simple hasard, qu’il avait écrit contre la France, au printemps de 1871, certaine comédie-charge politique intitulée : Une Capitulation. Sur ce sujet, il conviendrait de ne pas crier si fort, pour ne pas mettre en évidence notre ignorance prolongée. Quelques gens s’occupant de critique ou d’histoire musicale connaissaient depuis longtemps cette grossière plaisanterie que le public l’ignorait encore ; — et il a fallu pour la lui révéler qu’un touriste-écrivain voyageât au « pays des milliards » et y fit cette découverte inattendue.

Cette lenteur dans l’information et cette façon d’apprendre les choses au bout de cinq ans ne sont guère à notre honneur. Ou cette publication hostile avait une importance capitale, et nous en devions être informés dès le premier jour ; ou elle ne signifiait pas grand’chose, et alors il eût été sage de ne pas faire tant de bruit autour d’elle. Attacher pareille’importance à une parodie bien inoffensive en sa grossièreté, c’était faire ressortir d’autant plus notre manque de prévoyance et d’informations.

On fait encore un crime à Richard Wagner d’avoir composé en 1871 une marche triomphale pour le couronnement de l’Empereur d’Allemagne. Il aurait mieux fait de s’abstenir, assurément, lui qui a vécu plusieurs années en France ; mais n’est-ce pas le lot de tous les musiciens de célébrer les succès militaires de leur pays — et encore n’attendent-ils pas toujours des succès très avérés. Et puis, les Français seraient-ils bien venus à blâmer un compositeur allemand d’avoir célébré le triomphe de l’Allemagne, eux qui ont si bien applaudi