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AVANT-PROPOS

ses œuvres par sa vie et de toujours tendre au juste point de critique et d’éloge, eu fuyant également l’hyperbole louangeuse, dithyrambique, et le blâme amer, injurieux. Des analyses de pièces sur le mode lyrique, on en rencontre autant et plus qu’on n’en désire, à mon sens ; mais il serait infiniment moins aisé de trouver un ouvrage où l’existence et les œuvres du hardi novateur fussent racontées, étudiées avec suite ; où l’on put suivre à la fois la vie de l’homme et la carrière de l’artiste, en le pi-enant à sa naissance pour le conduire jusqu’à sa mort.

Non seulement il n’existe aucun ouvrage de ce genre en notre langue, mais, même à l’étranger, on n’en saurait découvrir un seul qui satisfit aux conditions d’indépendance et d’impartialité nécessaires pour qu’un pareil travail offre quelque intérêt et puisse être utilisé de confiance. En effet, les ouvrages allemands conformes à ce plan général sont conçus dans un esprit tellement admiratif et rédigés dans un style à ce point laudatif qu’on y devine à chaque page et l’influence directe et le contrôle permanent du maître ou de ses représentants. Tel auteur, ou tel autre, en prenant la plume, a dépouillé sa personnalité propre et s’est mis en quelque sorte à la dévotion de l’artiste dont il allait raconter la vie et qu’il devait juger aussi ; dès lors, non seulement ses appréciations perdent toute portée, mais les faits matériels les plus simples sont présentés de telle façon qu’on se méfie, instinctivement, et qu’on ne les accepte qu’après vérification minutieuse. À chaque page, on sent le livre de parti, le dithyrambe, et de tels ouvrages, à ce qu’il semble, sont sans utilité pour la gloire du maitre : ils ne le font pas connaître, ils lui nuisent au contraire, et le rendent quelque peu déplaisant par l’exagération de l’éloge et l’abus des coups d’encensoir.

Le mieux, avec un tel génie, est de raconter tout uniment sa vie, de juger ses actes et ses œuvres aussi simplement que s’il était mort depuis cinquante ou soixante ans, et de ne pas l’écraser sous des éloges hyperboliques qui risquent de le rendre ridicule aux yeux des gens sensés ; c’est en un mot d’écrire à son sujet un livre d’histoire, non un livre de combat ou de parti. Wagner, au degré de gloire où il est monté, n’a plus besoin qu’on rompe des lances pour lui ; il saura bien achever sa victoire par la toute-puissance de son génie et de ses œuvres. Donc, point de livre de combat. Point de livre de parti, non plus ; car ce serait montrer un esprit singulièrement étroit que de rallumer