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prééminence, au corps, la sujétion. Et voilà pourquoi nous les voyons cultiver la vertu, la tempérance, la modestie, la liberté, et se tenir loin de toute jalousie, de toute timidité, de toute superstition. Mais il est des points sur lesquels nous ne pensons pas comme eux, et nous croyons qu’ils plaisantent et qu’ils jouent aux dés ce qu’ils ont de plus cher, quand ils se montrent si dédaigneux du corps. Je conviens que Socrate a dit avec justesse que la philosophie est une préparation à la mort[1]. Mais des hommes qui font de cet exercice une occupation journalière, ne nous paraissent point dignes d’envie. Ce sont des malheureux, des gens qui me paraissent tout à fait insensés, s’ils supportent tous les maux, comme tu le dis toi-même, pour une vaine gloire. Car comment d’autres auraient-ils loué en eux jusqu’à l’abstinence des viandes crues ? Toi-même tu ne saurais l’approuver. Et tandis que tu copies le manteau et la chevelure d’un tel, comme les portraits sont les copies des personnes, pourquoi penserais-tu que ce que tu ne juges point digne d’admiration puisse ravir celle du vulgaire ? Qu’un ou deux y aient applaudi, passe encore ; mais cette pratique a soulevé des nausées et un dégoût invincible dans l’estomac de cent mille autres, et ils ont renoncé à tout aliment, jusqu’à ce que leurs serviteurs les eussent remis par des odeurs, des parfums et des apéritifs. Tant l’exemple de ce héros philosophique a réellement frappé de stupeur ! Cependant quoique cette action soit tournée en ridicule « Parmi tous les mortels qui vivent aujourd’hui » [2], elle n’a rien d’ignoble, j’en atteste les dieux, si on la juge d’après la sage intention de Diogène. Car, comme Socrate dit de lui-même que, se croyant obligé envers la Divinité d’accomplir, selon son pouvoir, l’oracle dont il était l’objet, il avait choisi le métier de critique, ainsi Diogène se sentant appelé, je crois, à la philosophie par un oracle pythien[3], crut devoir tout soumettre à son examen personnel et ne point s’en remettre à l’opinion des autres, qui pouvait être vraie sur ce point-ci, mais

  1. Dans le Phédon, chap. ix. Cicéron a répété cette parole dans les Tusculanes, I, 31. Tota philosophorum vila commentatio mortis est, et Montaigne a écrit l’un de ses plus beaux chapitres sur le même sujet : « Que philosopher c’est apprendre à mourir. Essais, I, chap. xix.
  2. Iliade, V, 304.
  3. Voyez les premiers chapitres de l’Apologie de Socrate de Platon, et l’Apologie de Xénophon.