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événements et les desseins manifestes de la Providence. Une dissimulation continuée pendant plus de vingt ans d’une vie terminée à trente, une remarquable intelligence, les vertus très-solides d’un vrai philosophe, le mérite réel d’un écrivain distingué, joint à l’autorité sans contrôle d’un monarque absolu, des persécutions secrètes ou avouées, et enfin une abjuration éclatante, tant de dons précieux et tant d’efforts sont impuissants à ressusciter l’ancien culte, mort pour jamais. En même temps, un rare talent militaire, la patience d’un soldat et l’ardeur contenue d’un général, de la justesse dans les vues, de la vigueur dans l’exécution, un courage réglé par le sang-froid et tempéré par la réflexion, la noble ambition de marcher sur les traces d’Alexandre et de César, viennent se briser contre la flèche d’un soldat inconnu. Un moment suffit pour anéantir les deux grands projets de Julien : il meurt sans avoir battu, refoulé ou détruit les Perses ; il meurt sans avoir vaincu les Galiléens et rétabli les autels de Jupiter. Arrêtons un moment nos regards sur cette singulière physionomie, où, malgré la fermeté native des traits et la vigueur accentuée des lignes, se répand, indécise et vague, la demi-lumière de l’époque flottante et irrésolue dans laquelle vécut Julien, et ce je ne sais quoi de douloureux, qui est comme un reflet sinistre jeté sur les existences fatalement arrêtées au milieu de leur essor.

Cependant, avant d’entrer en matière, commençons par dire quelques mots des sources originales, dont nous nous sommes principalement servi pour écrire cette étude sur Julien. Les matériaux les plus précieux sont les œuvres de Julien lui-même ; mais, parmi les écrivains qui fournissent des documents vrais sur sa vie, ses actions et ses écrits, on doit avoir particulièrement confiance dans Ammien Marcellin. C’est un historien grave, sérieux, sincère, d’une équité si éloignée de tout excès, qu’on ne sait s’il fut païen ou chrétien. Son style est souvent dur, ampoulé, obscur, contourné, mais son esprit est solide, judicieux, plein de droiture et de franchise. Impartial comme Xénophon et comme Thucydide, il raconte les choses qu’il a vues telles qu’il les a vues. Ses fonctions de protuteur domestique, c’est-à-dire de garde du corps de l’empereur, lui permirent d’examiner de près les faits qu’il rapporte. Il connut Julien dans sa vie privée, il le suivit dans ses campagnes ; mais cette intimité presque familière ne le rend excessif ni dans l’éloge ni dans le blâme : il est de l’école de Tacite ; il écrit sans colère et