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devait être à toute outrance : le danger donne du courage au plus lâche ; il défend sa vie avec d’autant plus d’énergie, qu’il craint davantage de la perdre. Le Comte fit bonne contenance, et comme il était plus adroit que moi, j’avais déjà reçu deux blessures légères que je n’avais pu encore le toucher ; cependant le souvenir des maux que m’avait causés cet indigne noble me redonnant de nouvelles forces, je le serrai de si près qu’enfin je réussis à lui passer mon épée au travers du corps ; il tomba en criant : je suis mort.

Il eût été plus beau, sans doute, de faire le sacrifice de mon ressentiment et de pardonner à mon ennemi, mais si vous réfléchissez de quel coup le Comte avait percé mon cœur, et combien la plaie était encore récente, vous jugerez que ce sacrifice n’eût pu qu’infiniment me coûter : je demande tous les jours pardon à Dieu d’avoir ôté la vie à un homme en satisfaisant une vengeance qui, quoique juste, n’en est pas moins criminelle aux yeux de l’être suprême.