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Scène 2e

BAPTISTE, VAN CARCASS

VAN CARCASS. — J’avais enveloppé un sol pour le jeter dans la rue et c’est vous qui chantiez, Baptiste.

BAPTISTE. Je fredonnais, n’en déplaise à Monsieur.

VAN CARCASS. — Vous ai-je pris à mon service pour fredonner ; depuis quand mes balais de crin se transforment-ils sous vos doigts en mandoline espagnole ?

BAPTISTE. — Depuis que la noble famille de Las Cabriolas sula testa…

VAN CARCASS. — Assez Baptiste, je connais votre manie, mais il faut en prendre votre parti ; vous ne descendez de personne ; Votre race commence en vous même ; mais je ferai tout au monde pour que votre nom se transmette aux siècles futurs !

BAPTISTE (ému). — Merci pour cette bonne parole, Monsieur, merci (il serre la main de Van Carcass).

VAN CARCASS (dégageant sa main). — Vous savez ce que je vous ai promis — quand votre âme quittera cette prison recouverte d’un gilet jaune, à boutons de corne, et d’une souquenille verte garnie de peluche orange… en d’autres termes, quand vous accomplirez l’acte mélancolique de la mort, je vous ai promis une faveur qui n’a été réservée jusqu’ici qu’aux grands de la terre et que les rois vous envieraient sous leurs lambris dorés, une faveur qui vous conservera à l’admiration de la postérité plus que toute la gloire de Las Cabriolas… en un mot, je vous empaillerai, Baptiste…

BAPTISTE. — Oh ! merci pour cette bonne parole ! merci ! (il lui serre la main)

VAN CARCASS. — Modérez-vous ! je vous empaillerai avec du crin végétal ! je vous placerai dans mon muséum entre l’ictyosaurus et Le Mégaleusterinum et dans l’attitude qu’il vous conviendra !

BAPTISTE (se posant). — Comme ceci.

VAN CARCASS. — Oui ! mais à la condition que vous vous conduirez pendant votre vie, que nous abrégerons peu à peu, en parfait domestique. Et à ce propos, j’attends aujourd’hui un hôte au service du quel je vous attacherai provisoirement.

BAPTISTE. — Un nouveau maître à servir ! et où en aurais-je le temps !… faites-moi donc faire un bras de plus !

VAN CARCASS. — Vous raisonnez, Baptiste ! prenez garde je ne vous empaillerai pas qu’avec du foin et de vieilles étoupes !

BAPTISTE (furieux). — Pourquoi pas de vieilles loques pour que les mittes s’y mettent !

VAN CARCASS. — Elle s’y mettront, gardez-vous d’en douter, si.

BAPTISTE. — Mais qui donc attendez-vous ?

VAN CARCASS. — Vous serez bien étonné, Baptiste, bien stupéfait, bien abasourdi, quand je vous dirais que c’est… mais voilà ma fille.