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l’île mystérieuse.

Cependant l’inconnu n’avait pas reparu. Plusieurs fois, Gédéon Spilett et Harbert avaient parcouru la forêt aux environs de Granite-house, sans le rencontrer, sans en trouver aucune trace. Ils s’inquiétaient sérieusement de cette disparition prolongée. Certainement, l’ancien sauvage de l’île Tabor ne pouvait être embarrassé de vivre dans ces giboyeuses forêts du Far-West, mais n’était-il pas à craindre qu’il ne reprît ses habitudes, et que cette indépendance ne ravivât ses instincts farouches ? Toutefois, Cyrus Smith, par une sorte de pressentiment, sans doute, persistait toujours à dire que le fugitif reviendrait.

« Oui, il reviendra ! répétait-il avec une confiance que ses compagnons ne pouvaient partager. Quand cet infortuné était à l’île Tabor, il se savait seul ! Ici, il sait que ses semblables l’attendent ! Puisqu’il a à moitié parlé de sa vie passée, ce pauvre repenti, il reviendra la dire tout entière, et ce jour-là il sera à nous ! »

L’événement allait donner raison à Cyrus Smith.

Le 3 décembre, Harbert avait quitté le plateau de Grande-Vue et était allé pêcher sur la rive méridionale du lac. Il était sans armes, et jusqu’alors il n’y avait jamais eu aucune précaution à prendre, puisque les animaux dangereux ne se montraient pas dans cette partie de l’île.

Pendant ce temps, Pencroff et Nab travaillaient à la basse-cour, tandis que Cyrus Smith et le reporter étaient occupés aux Cheminées à fabriquer de la soude, la provision de savon étant épuisée.

Soudain, des cris retentissent :

« Au secours ! à moi ! »

Cyrus Smith et le reporter, trop éloignés, n’avaient pu entendre ces cris. Pencroff et Nab, abandonnant la basse-cour en toute hâte, s’étaient précipités vers le lac.

Mais avant eux, l’inconnu, dont personne n’eût pu soupçonner la présence en cet endroit, franchissait le Creek-Glycérine, qui séparait le plateau de la forêt, et bondissait sur la rive opposée.

Là, Harbert était en face d’un formidable jaguar, semblable à celui qui avait été tué au promontoire du Reptile. Inopinément surpris, il se tenait debout contre un arbre, tandis que l’animal, ramassé sur lui-même, allait s’élancer… Mais l’inconnu, sans autres armes qu’un couteau, se précipita sur le redoutable fauve, qui se retourna contre ce nouvel adversaire.

La lutte fut courte. L’inconnu était d’une force et d’une adresse prodigieuses. Il avait saisi le jaguar à la gorge d’une main puissante comme une cisaille, sans