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l’île mystérieuse.

— Cela est probable, répondit Cyrus Smith.

— Il y aurait donc, par conséquent, plusieurs années qu’il aurait écrit ce document !

— Sans doute… et cependant le document semblait récemment écrit !…

— D’ailleurs, comment admettre que la bouteille qui renfermait le document ait mis plusieurs années à venir de l’île Tabor à l’île Lincoln ?

— Ce n’est pas absolument impossible, répondit le reporter. Ne pouvait-elle être depuis longtemps déjà sur les parages de l’île ?

— Non, répondit Pencroff, car elle flottait encore. On ne peut pas même supposer qu’après avoir séjourné plus ou moins longtemps sur le rivage, elle ait pu être reprise par la mer, car c’est tout rochers sur la côte sud, et elle s’y fût immanquablement brisée !

— En effet, répondit Cyrus Smith, qui demeura songeur.

— Et puis, ajouta le marin, si le document avait plusieurs années de date, si depuis plusieurs années il était enfermé dans cette bouteille, il eût été avarié par l’humidité. Or, il n’en était rien, et il se trouvait dans un parfait état de conservation. »

L’observation du marin était très-juste, et il y avait là un fait incompréhensible, car le document semblait avoir été récemment écrit, quand les colons le trouvèrent dans la bouteille. De plus, il donnait la situation de l’île Tabor en latitude et en longitude avec précision, ce qui impliquait chez son auteur des connaissances assez complètes en hydrographie, qu’un simple marin ne pouvait avoir.

« Il y a là, une fois encore, quelque chose d’inexplicable, dit l’ingénieur, mais ne provoquons pas notre nouveau compagnon à parler. Quand il le voudra, mes amis, nous serons prêts à l’entendre ! »

Pendant les jours qui suivirent, l’inconnu ne prononça pas une parole et ne quitta pas une seule fois l’enceinte du plateau. Il travaillait à la terre, sans perdre un instant, sans prendre un moment de repos, mais toujours à l’écart. Aux heures du repas, il ne remontait point à Granite-house, bien que l’invitation lui en eût été faite à plusieurs reprises, et il se contentait de manger quelques légumes crus. La nuit venue, il ne regagnait pas la chambre qui lui avait été assignée, mais il restait là, sous quelque bouquet d’arbres, ou, quand le temps était mauvais, il se blottissait dans quelque anfractuosité des roches. Ainsi, il vivait encore comme au temps où il n’avait d’autre abri que les forêts de l’île Tabor, et toute insistance pour l’amener à modifier sa vie ayant été vaine, les colons attendirent patiemment. Mais le moment arrivait enfin où, impérieuse-