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l’abandonné.

pigeons et cent autres. Pas un arbre qui n’eût un nid, pas un nid qui ne fût rempli de battements d’ailes !

Vers sept heures du soir, les colons, harassés de fatigue, arrivèrent au promontoire du Reptile, sorte de volute étrangement découpée sur la mer. Ici finissait la forêt riveraine de la presqu’île, et le littoral, dans toute la partie sud, reprenait l’aspect accoutumé d’une côte, avec ses rochers, ses récifs et ses grèves. Il était donc possible qu’un navire désemparé se fût mis au plein sur cette portion de l’île, mais la nuit venait, et il fallut remettre l’exploration au lendemain.

Pencroff et Harbert se hâtèrent aussitôt de chercher un endroit propice pour y établir un campement. Les derniers arbres de la forêt du Far-West venaient mourir à cette pointe, et, parmi eux, le jeune garçon reconnut d’épais bouquets de bambous.

« Bon ! dit-il, voilà une précieuse découverte.

— Précieuse ? répondit Pencroff.

— Sans doute, reprit Harbert. Je ne te dirai point, Pencroff, que l’écorce de bambou, découpée en latte flexible, sert à faire des paniers ou des corbeilles ; que cette écorce, réduite en pâte et macérée, sert à la fabrication du papier de Chine ; que les tiges fournissent, suivant leur grosseur, des cannes, des tuyaux de pipe, des conduites pour les eaux ; que les grands bambous forment d’excellents matériaux de construction, légers et solides, et qui ne sont jamais attaqués par les insectes. Je n’ajouterai même pas qu’en sciant les entre-nœuds de bambous et en conservant pour le fond une portion de la cloison transversale qui forme le nœud, on obtient ainsi des vases solides et commodes qui sont fort en usage chez les Chinois ! Non ! cela ne te satisferait point. Mais…

— Mais ? …

— Mais je t’apprendrai, si tu l’ignores, que, dans l’Inde, on mange ces bambous en guise d’asperges.

— Des asperges de trente pieds ! s’écria le marin. Et elles sont bonnes ?

— Excellentes, répondit Harbert. Seulement, ce ne sont point des tiges de trente pieds que l’on mange, mais bien de jeunes pousses de bambous.

— Parfait, mon garçon, parfait ! répondit Pencroff.

— J’ajouterai aussi que la moelle des tiges nouvelles, confite dans du vinaigre, forme un condiment très-apprécié.

— De mieux en mieux, Harbert.

— Et enfin que ces bambous exsudent entre leurs nœuds une liqueur sucrée, dont on peut faire une très-agréable boisson.