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est une mère courageuse et ferme qui veut m’élever comme il faut.


Les Vincent, les Fabre et le petit Vingtras forment une colonie criarde, joueuse, insupportable.

« Vous êtes insupportables, Jacques ; Ernest… »

C’est la mère Vincent qui veut faire la méchante et qui ne peut pas ; c’est le père Fabre qui le dit faiblement, avec un doux sourire de vieux.

« Insupportables ! Ah ! si je vous y reprends ! »

On nous y reprend sans cesse, et on nous supporte toujours.

Braves gens ! Ils juraient, sacraient, en lâchaient de salées ; mais on disait d’eux : « Bons comme le bon pain, honnêtes comme l’or. » Je respirais dans cette atmosphère de poivre et de poix, une odeur de joie et de santé ; ils avaient la main noire, mais le cœur dessus ; ils balançaient les hanches et tenaient les doigts écarquillés, parlaient avec des velours et des cuirs ; — c’est le métier qui veut ça, disait le grand Fabre. Ils me donnaient l’envie d’être ouvrier aussi et de vivre cette bonne vie où l’on n’avait peur ni de sa mère, ni des riches, où l’on n’avait qu’à se lever de grand matin, pour chanter et taper tout le jour.

Puis, on avait de belles alènes pointues. On voyait luire sous la main le museau allongé d’une bottine, le talon cambré d’une botte, et l’on tripotait un cirage qui sentait un peu le vinaigre et piquait le nez.

Braves gens !