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ou mon derrière, mes oreilles qu’on tire ou mes cheveux qu’on arrache, en glissant, m’accroupissant ou roulant, comme l’ahuri des pantomimes, comme l’innocent des escamoteurs.

Je me sens tout d’un coup dégringoler, je tombe !

Il y avait une pelure d’orange sous mon talon ; ce dont on s’aperçoit en se penchant vers moi, comme sur un problème. Je déconcerte les mathématiciens par l’imprévu de mes opérations. — C’est ma mère tout d’un coup rappelée à l’amour de son fils, par cette chute à tournure de mystification, qui remarque la première cette peau d’orange.

Elle croise ses bras et avance sur mon père :

« On mange donc des oranges ici, on mange des oranges !… »

Et elle trépigne, trépigne… Je ne sais ce que cela veut dire.

Je suis à terre, forcé de lever la tête pour voir tout ce qui se passe ; ma situation d’historiographe ressemble à celle d’un cul-de-jatte qu’on a porté là et laissé tomber comme un sac trop lourd.

Je ne veux pourtant pas mourir à cette place ! Puis je ne dois pas écouter ma mère qui est debout, dans cette position indifférente, m’isolant d’elle avec l’apparence du mépris ; Jacques, tu as trop tardé déjà !

Relève-toi, et mets-toi entre le discours de ta mère et l’effroi de ton père. Relève-toi, fils ingrat.

Mais non, non !

J’ai voulu bouger… je ne puis…