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verbères se détacher sur ce blanc cru. Ma mère fouille la place d’un œil qui lance des éclairs ; elle va et vient, se mord les lèvres, se tord les mains, fatigue les employés de questions éternelles.

On lui demande si elle veut entrer ou sortir, se tenir dans le bureau ou sur le pavé, si elle restera longtemps avec ses malles à encombrer la porte.

« J’attends mon mari qui est professeur au lycée. »

Ils ont l’air de s’en moquer un peu !


Je voudrais bien rester dans le bureau ; j’ai les pieds gelés, les doigts engourdis, le nez qui me cuit. J’en fais part à ma mère.

« Jacques ! »

Un « Jacques » qui inaugure mal notre entrée dans cette ville — et elle marmotte entre ses dents qui claquent :

« Il laisserait sa mère crever de froid, tenez, tandis qu’il se rôtirait les cuisses ! »

Mais, elle peut se rôtir les jambes aussi ! Rien ne l’empêche, puisqu’on lui a demandé si elle voulait se mettre près du feu.


Mon père arrive tout essoufflé.

« Je suis en retard… (Il s’essuie le front.) Vous avez fait un bon voyage ? » (Il tend les bras vers ma mère et la manque.)

Il se retourne vers moi.

« Crois-tu pas que je t’en aurais amené un autre ! » dit ma mère.