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chettes de ma mère et je pars pour le Breuil, en disant que je vais jouer chez le petit Grélin.

Il fait nuit. Je traverse la place toute noire jusqu’à ce que j’aperçoive les lampions qui brûlent rouge dans la brume. La musique est rentrée dans l’intérieur ; on a commencé. J’entends claquer la chambrière à travers la toile qui sert de mur.

Elle est là !

Je n’ai pas dix sous, rien, rien !… que mon amour !

Je fais le tour du manège, je colle mon œil à des fentes, je me dresse sur mes orteils à m’en casser les ongles ; pas un trou pour mon regard de flamme !


Par ici…

Par ici la toile est plus courte. Elle est déchirée près du poteau, et en déchirant encore un peu…

J’ai élargi la déchirure, mis le pied — je veux dire passé la tête — dans le chemin qui conduit à l’écurie.

Je suis à plein ventre par terre, dans la boue et je me glisse comme un voleur, comme un assassin, la nuit, dans un cirque habité !

M’y voici ! Je rampe sous les planches, je me racle au poteau, je me fais des écorchures aux mains ; mon nez, qui s’est aplati contre un madrier, ne donne plus signe de vie ; je ne le sens plus, j’ai peur de l’avoir perdu en route ; ce que je tiens n’y ressemble guère ; mais encore un effort, encore une blessure, et je pourrai la voir en passant derrière cette grosse bonne.

Je vais grimper !… Je grimpe, — un point d’appui me manque… je me raccroche à ce que je trouve…