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et qui en gardera la cassure. Je l’avais pourtant caché dans la table de nuit.

Il sait tout, mais il feint, naïf comme un enfant et bon comme un patriarche, de tout ignorer. Il faut que ce soit une surprise.


Le matin du jour solennel, j’arrive ; il est dans son lit.

« Comment ! c’est ma fête ? »

Avec un sourire, tournant un œil d’époux vers ma mère :

« Déjà si vieux ! Allons, que je vous embrasse ! »

Il embrasse ma mère, qui me tient par la main comme Cornélie amenant les Gracques, comme Marie-Antoinette traînant son fils. Elle me lâche pour tomber dans les bras de son époux.


C’est mon tour ; je croyais que je devais dire le compliment d’abord et qu’on n’embrassait qu’après le pot de fleurs. Il paraît qu’on embrasse avant.

Je m’avance.

Je tiens le géranium de onze sous et le rouleau, ce qui me gêne pour grimper.

Mon père m’aide, il me trouve lourd ; je monte une jambe, — je glisse. Mon père me rattrape, il est forcé de me saisir par le fond de la culotte, et je tourne un peu dans l’espace.

Ce n’est pas ma figure qu’il a devant les yeux ; moi-même je ne trouve pas son visage. Quelle position !