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On l’insulte, on a des mots grossiers pour elle — et même pour son fils — qu’on ne craint pas d’appeler astèque et avorton. Il est temps de fuir.

Au bout de la place, ma mère s’arrête et me dit :

« Jacques, va-t’en demander au gros — celui qui est au bout, tu sais, — s’il veut te donner le géranium pour onze sous. »

Il faut que je retourne dans cette bagarre, vers ce gros-là ; c’est justement celui qui m’a appelé « avorton. »

J’en ai la chair de poule. J’y vais tout de même ; j’ai l’air de chercher une épingle par terre ; je marche les yeux baissés, les cuisses serrées, comme un ressort rouillé qui se déroule mal, et j’offre mes onze sous.

Il a pitié, ce gros, et il me donne le géranium sans trop se moquer de moi. Les autres ne sont pas trop cruels non plus, et je puis rejoindre ma mère avec cette fleur, emblème de notre allégresse :


Accepte cette fleur…
Qui poussa dans mon cœur.


Vendredi soir.

Vendredi soir, répétition générale, dans le mystère et l’ombre.

Mon père — Antoine — est censé ne plus savoir ce qui se passe. Il sait tout ; il a même hier soir renversé le géranium mal caché, et je l’ai vu qui le relevait à la sourdine et le refrisait d’un geste furtif.

Il a failli marcher sur le compliment raide, gommé,