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reconnais dans la glace, je suis aussi laid et aussi malpropre. C’est pourtant sa fête, samedi.


« As-tu appris ton compliment ? »


Je me trouve un peu grand pour apprendre un compliment — je ne sais pas comment j’oserai entrer dans la chambre, ce qu’il faudra dire, s’il faudra rire, s’il faudra pleurer, si je devrai me jeter sur la barbe de mon père et la frotter en y enfonçant mon nez — bien rapproprié, par exemple ! — s’il sera filial que j’appuie, que j’y reste un moment, ou s’il vaudra mieux le débarrasser tout de suite, et m’en aller à reculons, avec des signes d’émotion, en murmurant : « Quel beau jour ! » À ce moment-là, je commencerai :

« Oui, cher papa… »

J’en tremble d’avance. J’ai peur d’avoir l’air si bête… — Non, j’ai peur qu’on devine que j’aimerais mieux que ce ne fût point sa fête…

La fête de mon père !


Mes inquiétudes redoublent, quand ma mère m’annonce que je devrai offrir un pot de fleurs.

Comme ce sera difficile !

Mais ma mère sait comment on exprime l’émotion et la joie d’avoir à féliciter son père de ce qu’il s’appelle Antoine !

Nous faisons des répétitions.

D’abord, je gâche trois feuilles de papier à compli-