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conseils. Ce sont les mauvais conseils qui perdent les jeunes gens. »

Qui me donnerait des conseils ? — Des copains ? Je suis plus vieux qu’eux, même s’ils ont mon âge. On ne les a pas battus tant que moi. Ils n’ont pas connu Legnagna et la maison muette. — Des vieux ? les collègues de mon père ? Ils ont bien assez à faire de nouer les deux bouts, et puis ils ne savent que ce qui se passait chez les anciens, et n’ont pas le temps, — à cause des répétitions — de juger ce qui se passe autour d’eux.

J’avais dit à ma mère d’où venaient ces cinq francs.

Elle avait levé les mains au ciel.

« Tu as vendu tes livres de prix, Jacques !… »

Pourquoi pas ? Si quelque chose est à moi, c’est bien ces bouquins, il me semble ! Je les aurais gardés, si j’avais trouvé dedans ce que coûte le pain et comment on le gagne. Je n’y ai trouvé que des choses de l’autre monde ! — tandis qu’avec l’argent, j’ai pu acheter une cravate qui n’était pas ridicule et aller aussi prendre un gloria aux Mille-Colonnes. J’y lis la feuille de Paris, qui sent encore l’imprimerie, quand le facteur l’apporte.

Mais je me suis trouvé un soir face à face avec mon père qui passait. Il m’a insulté, d’un mot, d’un geste.

« Te voilà, fainéant ? »

Et il a continué son chemin.

Fainéant ? — Ah ! j’avais envie de courir après lui et de lui demander pourquoi il m’avait jeté entre les