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vieux, tout vieux, avec des cheveux blancs, qui vivait seul au bout du village, et qu’on appelait le fou. Il mettait quelquefois sur ses cheveux blancs un bonnet rouge et regardait les cendres d’un œil fixe.

Je me rappelais celui qu’on appelait le sans-culotte et qui ne tolérait pas les prêtres. Il était sorti de la maison le jour où sa femme, avant de mourir, avait demandé le bon Dieu.

Je me souvenais aussi des gestes qu’on avait faits, devant moi, en tapant sur la crosse d’un fusil, ou en allongeant le canon, avec un regard de colère, du côté du château.

Et tout mon sang de fils de paysanne, de neveu d’ouvriers, bondissait dans mes veines de savant malgré moi !

Il me prenait des envies d’écrire à l’oncle Joseph et à l’oncle Chadenas… « Soyez sûrs que je ne vous ai pas oubliés, que j’aurais mieux aimé être avec vous à la charrue ou à l’étable, qu’être dans la maison au latin. Mais si vous marchez contre les aristocrates, appelez-moi ! »


« Tu as l’air tout exalté depuis quelque temps, » dit ma mère.

C’est vrai — j’ai sauté d’un monde mort dans un monde vivant. — Cette histoire que je dévore, ce n’est pas l’histoire des dieux, des rois, des saints, — c’est l’histoire de Pierre et de Jean, de Mathurine et de Florimond, l’histoire de mon pays, l’histoire de mon village ; il y a des pleurs de pauvre, du sang de ré- -