Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/355

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rées comme mes oncles ; c’était de voir les femmes qui ressemblaient aux pauvresses à qui nous donnions un sou dans la rue, et d’apercevoir avec elles des enfants qu’elles traînaient par le poignet ; c’était de les entendre parler comme tout le monde, comme le père Fabre, comme la mère Vincent, comme moi ; c’était cela qui me faisait quelque chose et me remuait de la plante des pieds à la racine des cheveux.

Ce n’était plus du latin, cette fois. Ils disaient : « Nous avons faim ! Nous voulons êtres libres ! »

J’avais mangé du pain trop amer chez nous, j’avais été trop martyr à la maison pour que le bruit de ces cris ne me surprît pas le cœur.

Puis je déchirais, en idée, les habits si mal bâtis que j’avais toujours portés et qui avaient toujours fait rire ; je les remplaçais par l’uniforme des bleus, je me glissais dans les haillons de Sambre-et-Meuse.

On n’était plus fouetté par sa mère, ni par son père, on était fusillé par l’ennemi, et l’on mourait comme Barra. Vive le peuple !

C’étaient des gens en tablier de cuir, en veste d’ouvrier, et en culottes rapiécées, qui étaient le peuple dans ces livres qu’on venait de me donner à lire, et je n’aimais que ces gens-là, parce que, seuls, les pauvres avaient été bons pour moi, quand j’étais petit.


Je me rappelais maintenant des mots que j’avais entendus dans les veillées, des chansons que j’avais entendues dans les champs, les noms de Robespierre ou de Buonaparte au bout de refrains en patois ; et un