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de votre colère. Il me passe parfois des bouffées de rancune, et je ne serai content, voulez-vous le savoir, que le jour où je serai loin de vous !…

Ces pensées-là, à un moment, m’échappent tout haut !

Ma mère en est devenue pâle.

« Oui, je veux entrer dans une usine, je veux être d’un atelier, je porterai les caisses, je mettrai les volets, je balaierai la place, mais j’apprendrai un métier. J’aurai cinq francs par jour quand je le saurai. Je vous rendrai alors l’argent du Palais-Royal, et les trois sous du garçon !

— Tu veux désespérer ton père, malheureux !

— Laissez-moi donc avec vos désespoirs ! Ce que je veux, c’est ne pas prendre sa profession, un métier de chien savant ! Je ne veux pas devenir bête comme N***, bête comme D***. J’aime mieux une veste comme mon oncle Joseph, ma paie le samedi, et le droit d’aller où je veux le dimanche. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Et tu voudrais ne plus nous voir, tu dis ? »


Elle a oublié toutes les autres colères qui blessent son orgueil, dérangent ses plans, déconcertent sa vie, pour ne se rappeler qu’une phrase, celle où j’ai crié que je ne les aimais pas, et ne voulais plus les voir !

Son air de tristesse m’a tout ému ; je lui prends les mains.

« Tu pleures ? »

Elle n’a pu retenir un sanglot, et avec un geste si