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« Votre ami est muet, monsieur Matoussaint ? »

Je fais une grimace et pousse un son, pour établir que je n’appartiens pas aux disciples de l’abbé de l’Épée. On me discute au coin de la table.

« Une tête — des yeux. — Mais il a l’air trop couenne ! »

Je me rattrape par les tours de force. J’abaisse les poignets, j’écrase les doigts, je soulève la soupière avec les dents, je reste quatre-vingts secondes sans respirer, à la grande peur des gens d’à-côté, qui voient mes veines se gonfler ; les yeux me sortent de la tête.

« Je n’aime pas qu’on fasse ça près de moi quand je mange, » dit un voisin.

Radigon lui-même en a assez.

« Ah ! c’est qu’il nous embête à la fin, avec sa respiration ! »


Après le dîner, il faut que je parte.

Les autres élèves de la pension, ont jusqu’à minuit. Legnagna — par méchanceté, — exige que je sois là à huit heures.

Je quitte la société et je redescends du côté du faubourg Saint-Honoré.

Il me reste un quart d’heure à assassiner avant de regagner le bahut, mais j’aurais l’air de n’avoir pas su où dépenser mon temps si je reparaissais avant l’heure.

J’aimerais mieux être rentré. Je ne crains pas la solitude de ce dortoir où j’entends revenir un à un les