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avec les restes du sien, ou avec le supplément qu’il demanderait au réfectoire.

« Si c’était elle, il y a longtemps que ce serait fait. Il n’avait qu’à mettre cela dans du papier. Elle lui donnerait une petite boîte, s’il voulait. »

Mon père avait toujours résisté — le pauvre homme. La peur d’être vu ! le ridicule s’il était surpris — la honte ! Ma mère tâchait de lui forcer la main de temps en temps, en me laissant affamé, dans son étude, à l’heure du souper. Il ne cédait pas, il préférait que je souffrisse un peu et il avait raison.

Je me souviens pourtant d’une fois où il s’échappa du réfectoire, pour venir me porter une petite côtelette panée qu’il tira d’un cahier de thèmes où il l’avait cachée : il avait l’air si troublé et repartit si ému ! Je vois encore la place, je me rappelle la couleur du cahier, et j’ai pardonné bien des torts plus tard à mon père, en souvenir de cette côtelette chipée pour son fils, un soir, au lycée du Puy…


Le proviseur s’appelle Hennequin, — envoyé en disgrâce dans ce trou du Puy.

Il a écrit un livre : Les Vacances d’Oscar.

On les donne en prix, et après ce que j’ai entendu dire, ce que j’ai lu à propos des gens qui étaient auteurs, je suis pris d’une vénération profonde, d’une admiration muette pour l’auteur des Vacances d’Oscar, qui daigne être proviseur dans notre petite ville, proviseur de mon père, et qui salue ma mère quand il la rencontre.