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sont pas trop méchants pour moi ; ils me voient timide, craintif, appliqué ; ils ne me disent rien qui me fasse de la peine, mais j’entends ce qu’ils disent de mon père, comment ils l’appellent ; ils se moquent de son grand nez, de son vieux paletot, ils le rendent ridicule à mes yeux d’enfant, et je souffre sans qu’il le sache.

Il me brutalise quelquefois dans ces moments-là. « Qu’est-ce que tu as donc ? — Comme il a l’air nigaud ! »

Je viens de l’entendre insulter et j’étais en train de dévorer un gros soupir, une vilaine larme.

Il m’envoie souvent, pendant l’étude du soir, demander un livre, porter un mot à un des autres pions qui est au bout de la cour, tout là-bas… il fait noir, le vent souffle ; de temps en temps, il y a des étages à monter, un long corridor, un escalier obscur, c’est tout un voyage : on se cache dans les coins pour me faire peur. Je joue au brave, mais je ne me sens bien à l’aise que quand je suis rentré dans l’étude où l’on étouffe.

J’y reste quelquefois tout seul, quand mademoiselle Balandreau est en retard. Les élèves sont allés souper, conduits par mon père.


Comme le temps me semble long ! C’est vide, muet ; et s’il vient quelqu’un, c’est le lampiste qui n’aime pas mon père non plus, je ne sais pourquoi : un vieux qui a une loupe, une casquette de peau de bête et une veste grise comme celle des prisonniers ; il sent l’huile,