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grand chef à propos de son môme et de sa domestique.

Ah ! quelle faute on a commise en s’adressant à la femme du proviseur ! par genre, pour avoir l’air de demander avis !

On n’ose pas renvoyer la grosse recommandée, malgré les prétentions qu’elle affiche, et elle entre en place.


Ma mère a toujours la main sur le gigot et un pied dans la tombe, à propos de cette bonne.

Elle n’est pas forte, et ça la fatigue de couper. Couper une tranche pour son mari, pour son enfant, c’est son devoir d’épouse, c’est son rôle de mère ; elle n’y faillira pas !

Mais quand il faut servir Margoton !…

« Vous avez encore faim ?

— Oui, Madame.

— Comme cela ?

— Encore un petit morceau, si vous voulez. »

Ma mère en mourra ; je le vois bien, je le vois aux sons douloureux qu’elle étrangle quand elle reprend le couteau, à l’expression de ses yeux quand elle ajoute du jus, et elle est si lasse au dessert, qu’elle est forcée de mettre les cerises dans l’assiette de la bonne, une par une, comme avec un déchirement.

Marguerite en redemande toujours.


Mais ma mère renaît à vue d’œil. Mon Dieu ! mon Dieu ! soyez béni !