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Mon père a simplement branlé la tête ; il a ouvert la bouche comme une carpe, et il a murmuré :

« Non, non, demain. »

Il sait ce que cela signifie : « Mange, si tu veux, toi !   »

Cela signifie : Je ne veux pas que tu prennes une miette, que tu grattes un radis, que tu effleures une andouille, que tu respires un fromage !

Mon père va se coucher ; ma mère le suit. On met une paillasse pour moi dans un coin.

Je tombe de fatigue et je m’endors ; mes parents en font autant.

Mais nous nous réveillons tous les trois, par moments, au bruit que font nos intestins.

Ma mère est du concert comme les autres, — mais elle ne cédera pas. — C’est une femme de tête, ma mère. Ah ! je l’admire vraiment ! Quelle volonté ! Quelle différence avec moi ! Si j’avais faim, moi, je le dirais, et même, je mangerais… s’il y avait de quoi !

Nature vulgaire, poule mouillée, avorton !

Regarde donc ta mère, qui, pour être fidèle à sa parole, s’en tenir à ce qu’elle a dit, passe la nuit à se serrer le ventre, et attend le matin pour casser une croûte. Elle fera encore celle qui mange par habitude, sans appétit, tu verras. — Tu as pour mère une Romaine, Jacques ! tu ne tiens pas d’elle, — surtout par le nez, car tu l’as en pied de marmite.


Nous avons déjeuné, — ma mère, du bout des dents : mais je l’ai vue qui dévorait, dans un coin, un