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Elle s’éveillait ; un garçon d’écurie rôdait avec une lanterne, on attelait la carriole d’un paysan. Le sergent de ville appelle son beau-frère, en tapant contre une cloison.

Un grognement.

« On y va, on y va ! »

À travers les fentes, on voit passer une lumière et l’on entend l’homme qui s’habille en bâillant, ses bretelles qui claquent et ses souliers qui traînent.

« Ces personnes demandent à coucher et un morceau sur le pouce. »

Morceau sur le pouce est dit, le visage tourné vers mon père. Il se souvient de ce : « Pourquoi aurais-je faim ? » de ma mère.

Mais elle intervient.

« Coucher seulement, fit-elle ; nous mangerons en nous réveillant.

— Comme vous voudrez, » fait l’aubergiste, à qui il importe peu de vendre à manger le matin ou la nuit, et qui préfère même, une fois les voyageurs couchés, se recoucher aussi.

J’entends les boyaux de mon père qui grognent comme un tonnerre sous une voûte : les miens hurlent ; — c’est un échange de borborygmes ; ma mère ne peut empêcher, elle aussi, des glouglous et des bâillements ; mais elle a dit, à la station, qu’il ne fallait pas dîner et l’on ne mangera pas avant demain. On ne man-ge-ra pas.

Elle a pourtant crié à mon père :

« Mange si tu veux, toi ! »