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Il y a des choses qu’il faut garder avec soi, dit ma mère, et elle a gardé beaucoup de choses ; on les entasse sur moi, j’ai l’air d’une boutique de marchand de paniers, et je marche avec difficulté.

Il s’écroule toujours quelque boîte qu’on ramasse aux clartés de la lune.

On ne se décide à rien : on est porté, par l’heure et le calme immense, à une espèce de recueillement très fatigant pour moi qui ai tout sur le dos.

Il y a bien eu des facteurs et des garçons d’hôtel qui, à la gare, ont voulu nous emmener au Lion-d’Or, au Cheval-Blanc, au Coq-Hardi, — « À deux pas, Monsieur ! — Voici l’omnibus de l’hôtel ! »

Aller à l’hôtel, au Cheval-Blanc, au Lion-d’Or, mon cœur en battait d’émoi ; mais mes parents ne sont pas des fous qui vont se livrer comme cela au premier venu et suivre un étranger dans une ville qu’ils ne connaissent pas.

Ma mère sait juger son monde, elle a voulu trouver une figure qui lui convînt, et elle rôde, tirant mon père comme un aveugle, hasardant des regards et lançant des questions qui se perdent dans l’obscurité et le brouhaha.

Elle a si bien fait, qu’à un moment, on s’est trouvé seuls comme un paquet d’orphelins.


On éteint les lumières. — Il n’est plus resté qu’un réverbère à l’huile devant la grande porte comme un hibou ; et voilà comment nous errons, muets et sans espoir, sur une place à laquelle nous sommes arrivés