Mais tout de même, je tressaillais quand ma tante me tapotait les joues et me parlait en bordelais. Quand elle me regardait d’une certaine façon, le cœur me tournait, comme le jour où, sur le Breuil, j’étais monté dans une balançoire de foire.
J’étais déjà grand : dix ans. C’est ce que je lui disais :
« N’épouse pas mon oncle Joseph ! Dans quelque temps, je serai un homme : attends-moi, jure-moi que tu m’attendras ! C’est pour de rire, n’est-ce pas, la noce d’aujourd’hui ? »
Ce n’était pas pour de rire, du tout ; ils étaient mariés bel et bien, et ils s’en allèrent tous les deux.
Je les vis disparaître.
Ma jalousie veillait. J’entendis tourner la clef.
Elle me tordit le cœur, cette clef ! J’écoutai, je fis le guet. Rien ! rien ! Je sentis que j’étais perdu. Je rentrai dans la salle du festin, et je bus pour oublier[1].
Je n’osai plus regarder l’oncle Joseph en face depuis ce temps-là. Cependant quand il vint nous voir la veille de son départ pour Bordeaux, il ne fit aucune allusion à notre rivalité, et me dit adieu avec la tendresse de l’oncle, et non la rancune du mari !
- ↑ Un autre personnage célèbre s’est fait aussi la réputation d’avoir « bu pour oublier. »
Nous n’avons point le droit de fixer d’une manière précise la date à laquelle se passait cet événement, mais les Nuits d’automne n’étaient pas encore publiées. Selon toute probabilité, Musset aurait rencontré la famille Vingtras dans un voyage au Puy. Lequel des deux a copié l’autre ? Aux hommes de bonne foi à répondre.
(Note de l’éditeur.)