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mes larmes et cachais mes douleurs, la fureur de mon père allait jusqu’à l’écume.

Deux ou trois fois, je dus pousser des cris comme en poussent ceux qu’on tue en leur arrachant l’âme : il en fut épouvanté lui-même ! mais il recommençait toujours, tant il avait la pensée malade, l’esprit noir. — Il croyait vraiment que j’étais un gredin, je le pense. — Il voyait tout à travers le dégoût ou la fureur !

Quelquefois, c’est plus affreux encore, — ma mère intervient ; — et elle qui m’a calotté à outrance, accuse mon père de barbarie !

« Tu ne toucheras pas cet enfant ! »


De temps en temps ils se raccommodent et me battent tous deux à la fois ! Les raccommodements durent peu.

Je suis bien malheureux, mais j’ai toujours à cœur le reproche sanglant de mon père, et je me dis que je dois expier ma faute, en courbant la tête sous les coups et en bûchant pour que sa situation universitaire déjà compromise ne souffre pas encore de ma paresse !

Je fais tout ce que je peux : je me couche quelquefois à minuit, et même ma mère, qui jadis m’accusait de dormir trop tôt, m’accuse maintenant de brûler trop de chandelle : « Et pour quoi faire ? Des singeries, tout ça. »

Mon père prétend que je lis des romans en cachette, on ne me sait pas gré du mal que je me donne, et