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été prise de frayeur dans la campagne, et qu’elle est au lit avec la fièvre… »

Il disait cela sans paraître trop ému, avec un peu de vulgarité dans la tournure, — il traînait ses pantoufles sur le parquet, et rajustait son pantalon.

Que s’était-il passé ?

Je ne l’ai jamais bien su. À des cris qui échappèrent dans les orages, à des éclats de querelles que mes oreilles recueillirent, je crus comprendre que ma mère s’était mise en embuscade et avait surpris madame Brignolin causant bas avec mon père au détour du jardin, dans ce dimanche de malheur !

Il s’en était suivi une scène de jalousie et de bataille, il paraît, et qui s’était continuée jusqu’au milieu de la nuit, jusqu’à l’heure où je les avais vus revenir.

Je ne pouvais questionner personne ; d’ailleurs, le souvenir seul de ce moment m’obsédait comme un mal, et je le chassais au lieu d’essayer de le savoir !

Savoir quoi ? Ce qui était fait était fait !


Je suis peut-être le plus atteint, moi, l’innocent, le jeune, l’enfant !

Mon père, depuis ce jour-là (est-ce la fièvre ou le remords, la honte, ou le regret ?) mon père a changé pour moi. Il avait jusqu’ici vécu en dehors du foyer, par la raison ou sous le prétexte qu’il avait à donner des répétitions au collège et à assister à quelques conférences que faisait le professeur de rhétorique, pour les maîtres qui n’étaient pas agrégés.