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là ? » Je n’ai jamais oublié ce « grand bête ! » si tendre et ce geste si doux.


Pour mademoiselle Miolan, on a loué un bout de campagne, où l’on va passer deux ou trois heures le soir, après le collège ; où l’on dépense, quand il fait beau, toute la journée du dimanche.

Les belles heures pour les petits Brignolin et moi !

Les environs de la maison de plaisance ne sont pas beaux, — c’est au bout d’un chemin désert, noir de charbon, jaune de sable, gris de poussière, qui sent le brûlé, a des odeurs de cendre, sur lequel les souliers s’écorchent et les voitures crient. Il y a une mine là-bas et deux briqueteries qui montrent leurs toits plats dans le vide des champs ; — l’herbe est maigre et roussie, elle traîne par places comme des restes de poil sur un dos de chameau ; il y a des débris de coke et de briques, rougeâtres et ternes comme des grumeaux de sang caillé ; mais nous entassons tout cela en forme de portiques et de cabanes, et nous faisons des trous dans la terre ; on y allume du feu, l’on souffle, et la flamme brille, la fumée tourne dans le vent. Cela sent le travail, rappelle Robinson, on est seul dans cette vaste plaine — comme si l’on devait vivre sans le secours des villes : on parle comme des hommes, et comme des hommes on a l’émotion que donne toujours le silence.

Quand on est las de cette nature muette et vide, quand le froid de la nuit descend, quand les bruits tombent un à un comme des pierres dans un gouffre,