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jette sur la foule des camarades le regard creux du capitaine. Je fais des ouvertures à plusieurs : ils hésitent. Les uns disent qu’ils ne s’ennuient pas à la maison, qu’ils s’y amusent beaucoup, au contraire, que leur père rigole avec eux, que leur mère a les mêmes défauts que celle de Malatestat.

« On ne te bat donc pas ?

— Si, quelquefois, mais je suis content ces jours-là ; je suis sûr que le soir on me mènera au spectacle ou bien qu’on me donnera une pièce de dix sous. Mon père en est tout embêté, et ils se cherchent des raisons avec ma mère. — C’est toi qui en es cause. — Je te dis que c’est toi. — Tu ne lui as pas fait de mal au moins ! — J’ai bien tapé un peu fort, quel brutal je suis ! »

« Tu lui as fait du mal au moins, » demande ma mère à mon père, à l’envers de ces parents imbéciles. « J’espère qu’il l’a senti cette fois ! »

Et il faut bien avouer que ma mère est logique. Si on bat les enfants, c’est pour leur bien, pour qu’ils se souviennent, au moment de faire une faute, qu’ils auront les cheveux tirés, les oreilles en sang, qu’ils souffriront, quoi !… Elle a un système, elle l’applique.

Elle est plus raisonnable que les parents de ce petit à qui on donne dix sous quand on lui a envoyé une taloche ; qui tapent sans savoir pourquoi, et qui regrettent d’avoir fait mal.

Je ne comprends pas comment mon camarade aime tant ses parents qui sont si bêtes, et ont si peu d’énergie.