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dévoré d’une idée de vengeance, je me dis comme un petit jésuite, que c’est eux qui auront à le manger, rôti, revenu, en vinaigrette, à la sauce noire, en émincés et en boulettes, — comme je faisais.


Je vais plus loin, hypocrite que je suis !

Je me dis qu’il faut m’exercer, me tâter, m’endurcir, et je cherche tous les prétextes possibles pour qu’on me rosse.

J’en verrai de dures sur le navire. Il faut que je me rompe d’avance, ou plutôt qu’on me rompe au métier ; et me voilà pendant des semaines, disant que j’ai cassé des écuelles, perdu des bouteilles d’encre, mangé tout le papier ! — Il faut dire que je mange toujours du papier et que je bois toujours de l’encre, je ne peux pas m’en empêcher.

Mon père ne se doute de rien et se laisse prendre au piège, le malheureux !…

Je lui use trois règles et une paire de bottes en quinze jours, il me casse les règles sur les doigts, et m’enfonce ses bottes dans les reins.

Je lui coûte les yeux de la tête, je le ruine, cet homme !

Je pense qu’il me pardonnera plus tard en faveur de l’intention ; et d’ailleurs il me semble que cela ne l’ennuie pas trop.

Un peu fatigué seulement quand il m’a rossé trop longtemps, — il a chaud !

Je me traîne alors jusqu’à la fenêtre, et je la ferme pour qu’il n’attrape pas de courants d’air.