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nier soutenu par des poutres qui ont l’air en vieux bouchon, tant elles sont piquées et moisies !

La fenêtre donne sur une cour, d’où monte une odeur de boue cuite.


Il n’y a que les rideaux de lit qui me plaisent, — ils suffisent à me distraire ; on y voit des bonshommes, des chiens, des arbres, un cochon ; ils sont peints en violet sur l’étoffe, c’est le même sujet répété cent fois. Mais je m’amuse à les regarder de tous les côtés, et je vois surtout toutes sortes de choses dans les rideaux de ma grand’tante, quand je mets ma tête entre mes jambes pour les regarder.

La chasse — c’est le sujet — me paraît de toutes les couleurs. Je crois bien ! Le sang me descend à la figure ; j’ai le cerveau comme un fond de barrique : c’est l’apoplexie ! Je suis forcé de retirer ma tête par les cheveux pour me relever, et de la replacer droit comme une bouteille en vidange.

On fait des prières à tout bout de champ : Amen ! amen ! avant la rave et après l’œuf.

Les raves sont le fond du dîner qu’on m’offre quand je vais chez la béate ; on m’en donne une crue et une cuite.

Je racle la crue, qui semble mousser sous le couteau, et a sur la langue un goût de noisette et un froid de neige.

Je mords avec moins de plaisir dans celle qui est cuite au feu de la chaufferette que la tante tient toujours entre les jambes, et qui est le meuble indispen-