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délié la langue des autres. Un gros, qui a l’air ivrogne, fait sauter les boutons de sa robe crasseuse tachée de vin, et dérange son rabat jaune de café. Un maigre, à tête de serpent, ne boit que de l’eau, mais il jette de côté et d’autre des regards qui me font peur. J’ai vu au théâtre de Saint-Étienne, une fois, le traître qui servait du poison dans les verres ; il a cet air-là.

Les autres mangent, boivent comme des goinfres, et quand ils ont une prière à dire, ils ont encore la bouche pleine.

On voit leur culotte sous leur robe sale.

Le crasseux, le gros, se tourne de mon côté.

« C’est votre neveu, monsieur le curé ? Il a bon appétit au moins, ce gaillard-là ; est-il râblé ! »

Et il me passe la main sur le dos, ce qui me dégoûte et me gêne.


« Et Maclou, le protestant, qu’est-ce que vous en faites ? dit une voix.

— Il est maintenant au lac de Saint-Front.

— Avec le tas ! C’est là qu’ils ont fait leur nid.

— Nid de vipères, » siffle la tête de serpent.

Il y a donc des protestants ! J’ai lu ce qu’on en dit dans la bibliothèque de Chaudeyrol, et les protestants qu’on a brûlés, qu’on envoie en enfer, me semblent une race de damnés.

Je vais, un jour, jusqu’au lac Saint-Front, tout seul. C’est un grand voyage. Je pense tout le long du chemin à la Saint-Barthélemy, et je vois des croix rouges sur le ciel bleu.