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ques poissons s’y jouent. On a fait un petit grillage pour empêcher qu’ils ne passent. Et je dépense des quarts d’heure à voir bouillonner cette eau, à l’écouter venir, à la regarder s’en aller, en s’écartant comme une jupe blanche sur les pierres !

La rivière est pleine de truites. J’y suis entré une fois jusqu’aux cuisses ; j’ai cru que j’avais les jambes coupées avec une scie de glace. C’est ma joie maintenant d’éprouver ce premier frisson. Puis j’enfonce mes mains dans tous les trous, et je les fouille. Les truites glissent entre mes doigts ; mais le père Regis est là, qui sait les prendre et les jette sur l’herbe, où elles ont l’air de lames d’argent avec des piqûres d’or et de petites taches de sang.


Mon oncle a une vache dans son écurie ; c’est moi qui coupe son herbe à coups de faux. Comme elle siffle dans le gras du pré, cette faux, quand j’en ai aiguisé le fil contre la pierre bleue trempée dans l’eau fraîche !

Quelquefois je sabre un nid ou un nœud de couleuvres.

Je porte moi-même le fourrage à la bête, et elle me salue de la tête quand elle entend mon pas. C’est moi qui vais la conduire dans le pâturage et qui la ramène le soir. Les bonnes gens du pays me parlent comme à un personnage, et les petits bergers m’aiment comme un camarade.

Je suis heureux !

Si je restais, si je me faisais paysan ?