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« Il a l’air d’un Anglais. »

Ce mot me remplit d’orgueil.

Mon père (il me gâte !) m’emmène au café pour lamper le coup de l’étrier.

« Allons, bois cela, ça te fera du bien. »

J’avale l’eau-de-vie tout d’un trait, ce qui me fait éternuer pendant cinq minutes et me mouille les yeux, comme si j’avais pleuré toute la nuit. La langue me cuit à vouloir la tremper dans le ruisseau.

« Sois aimable avec ton oncle. »

C’est la dernière recommandation de mon père.

« Aie bien soin de ta veste neuve. »

C’est le cri suprême de ma mère.


En route, fouette cocher !


Les adieux ont été simples. Il faut que j’arrive au plus vite chez le grand oncle.

On n’a pas fait de sentiment.

Et je n’attendais, moi, que le moment où les chevaux fileraient…


J’ai passé ma nuit à savourer ma joie. J’ai bu, dormi, rêvé, j’ai pris des sirops au buffet, j’ai soulevé les vasistas, je suis descendu aux côtes.

À six heures du matin, je me suis trouvé en plein Puy, devant le café des Messageries.

Je laisse mon bagage au bureau, et je grimpe vers notre ancienne maison, où mademoiselle Balandreau doit m’attendre. On lui a écrit que j’arriverais, sans fixer le jour.