Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pauvre fille ! elle n’a pas trouvé à se marier. C’était certain, et elle vit avec peine du produit de son travail manuel ; non qu’elle manque de rien, à vrai dire, mais elle est coquette, la tante Amélie !

Il faut entendre son petit grognement, voir son geste, suivre ses yeux, quand elle essaye une coiffe ou un fichu ; elle a du goût : elle sait planter une rose au coin de son oreille morte, et trouver la couleur du ruban qui ira le mieux à son corsage, près de son cœur qui veut parler…


Grand’tante Agnès.

On l’appelle la « béate ».

Il y a tout un monde de vieilles filles qu’on appelle de ce nom-là.

« M’man, qu’est-ce que ça veut dire, une béate ? »

Ma mère cherche une définition et n’en trouve pas ; elle parle de consécration à la Vierge, de vœux d’innocence.

« L’innocence. Ma grand’tante Agnès représente l’innocence ? C’est fait comme cela, l’innocence ! »

Elle a bien soixante-dix ans, et elle doit avoir les cheveux blancs ; je n’en sais rien, personne n’en sait rien, car elle a toujours un serre-tête noir qui lui colle comme du taffetas sur le crâne ; elle a, par exemple, la barbe grise, un bouquet de poils ici, une petite mèche qui frisotte par là, et de tous côtés des poireaux comme des groseilles, qui ont l’air de bouillir sur sa figure.

Pour mieux dire, sa tête ressemble à une pomme