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gagnés, oui ou non ? Est-ce qu’on me les a promis ? Il faut peut-être que je les lui demande. Pourquoi donc ? Est-ce qu’elle a oublié ?

Je vois bien à un peu de gêne, à cette coquetterie de l’œuf, à la contrainte du sourire, je vois bien qu’elle se souvient. Elle tient peut-être à garder son rang. C’est le fils qui doit rappeler à la mère ce qu’elle a promis.

« Maman, et mes vingt sous ? »

Elle ne me répond pas de suite ; mais, venant à moi tout d’un coup, d’une voix qui n’est plus celle qu’elle avait, espiègle et charmante, en montrant le gros œuf crotté :

« Jacques, veux-tu faire crédit à ta mère ?… »

Il y a dans l’accent toute la dignité d’une vaincue qui accepte son sort d’avance, mais demande une grâce au vainqueur. Elle ne défend pas sa bourse, la voilà ! — Les vingt sous sont sur la table — mais elle prie qu’on lui laisse du temps.

Oui, ma mère, je vous fais crédit. Oh ! gardez, gardez ces vingt sous, soit qu’ils doivent servir à réparer une brèche, soit que vous vouliez les engager pour moi dans une entreprise, — et sans me rien dire, en ayant l’air plutôt de mendier un pardon, vous joignez mon capital au vôtre, vous m’intéressez dans les affaires, vous me faites l’associé de la maison ! Merci !

Et elle s’entend en affaires, ma mère ; elle sait comment on fait rapporter à l’argent ; car elle m’a raconté, bien souvent, qu’à quatre ans, elle pouvait déjà gagner sa vie.