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Ah ! je n’ai pas cette grâce, certainement !

Quelquefois, c’est le coup de la vigueur : elle prend une peau avec du tripoli ou une brosse à gros poils, et elle attaque un luisant de cuivre ou un coin de meuble.

Elle fait : Hein ! comme un mitron ; elle geint à faire pousser des pains sur le parquet ! J’en ai la sueur dans le dos !

Mais je suis vigoureux, j’ai du moignon, et je lui prends le torchon des mains pour continuer la lutte. Je me jette sur le meuble ou je me précipite contre la rampe, et je mange le bois, je dévore le vernis.

« Jacques, Jacques ! tu es donc fou ! »

En effet, l’enthousiasme me monte au cerveau, j’ai la monomanie flottante…

« Jacques, veux-tu bien finir ! Il nous démolirait la maison, ce brutal, si on le laissait faire ! »

Je suis fort embarrassé : — ou l’on m’accuse de paresse, parce que je n’appuie pas assez, ou l’on m’appelle brutal, parce que j’appuie trop.

Je n’ai pas deux liards d’idée. C’est vrai, je le sens. Pas même capable de faire la vaisselle avec grâce ! Que deviendrai-je plus tard ? Je ne mangerai que de la charcuterie, — du lard sur du pain et du jambon dans le papier. J’irai dîner à la campagne pour laisser les restes dans l’herbe.

(Serais-je poète ? J’aime à dîner dans la prairie !)

C’est que je n’aurai pas à laver d’assiettes, et Dieu ne m’obligera pas à enlever les crottes des petits oiseaux.