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dans ce milieu de moutards malins tout disposés à faire souffrir le fils du professeur de la haine qu’ils portaient naturellement à son père.

Ces roulées publiques me rendaient service ; on ne me regardait pas comme un ennemi, on m’aurait plaint plutôt, si les enfants savaient plaindre !

Mon apparence d’insensibilité d’ailleurs ne portait pas à la pitié ; je me garais des horions tant bien que mal et pour la forme ; mais quand c’était fini, on ne voyait pas trace de peur ou de douleur sur ma figure. Je n’étais de la sorte ni un patiras ni un pestiféré ; on ne me fuyait pas, on me traitait comme un camarade moins chançard qu’un autre et meilleur que beaucoup, puisque jamais je ne répondais : « ça n’est pas moi. » Puis j’étais fort, les luttes avec Pierrouni m’avaient aguerri, j’avais du moignon, comme on disait en raidissant son bras et faisant gonfler son bout de biceps. Je m’étais battu, — j’y avais fait avec Rosée, qui était le plus fort de la cour des petits. On appelait cela y faire. « Veux-tu y faire, en sortant de classe ? »

Cela voulait dire qu’à dix heures cinq ou à quatre heures cinq, on se proposait de se flanquer une trépignée dans la cour du Lion-Rouge, une auberge où il y avait un coin dans lequel on pouvait se battre sans être vu.

J’avais infligé à Rosée quelques atouts qui avaient fait du bruit — sur son nez et au collège. — Songez donc ! j’avais l’autorisation de mon père.

Il avait eu vent de la querelle — pour une plume volée — et vent de la provocation.