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de m’embrasser, elle me pinçait ; — vous croyez que cela ne lui coûtait pas ! — Il lui arriva même de se casser les ongles ! Elle me battait pour mon bien, voyez-vous. Sa main hésita plus d’une fois ; elle dut prendre son pied.

Plus d’une fois aussi elle recula à l’idée de meurtrir sa chair avec la mienne ; elle prit un bâton, un balai, quelque chose qui l’empêchait d’être en contact avec la peau de son enfant, son enfant adoré.

Je sentais si bien l’excellence des raisons et l’héroïsme des sentiments qui guidaient ma mère, que je m’accusais devant Dieu de ma désobéissance, et je disais bien vite deux ou trois prières pour m’en disculper. Malheureusement j’avais très peu de temps à moi, et mes mea culpa restaient en l’air parce qu’Ernest, Charles ou Barnabé, un Vincent ou un Fabre, m’appelait pour une glissade, une promenade ou une bourrade, à propos de bottes ou de marmelade ; il y avait toujours quelque tonneau, quelque baquet, quelque querelle ou quelque pot à vider pour aider la boutique ou l’échoppe, le travail ou la rigolade.


Nous allions au second faire enrager la femme du plâtrier.

La plâtrière était une grande blonde, à l’air très doux, fort propre, — un peu languissante ; — elle nous laissait nous engouffrer quelquefois dans sa chambre au milieu de nos jeux, quand son mari n’était pas là ; mais, dès qu’elle l’entendait, il fallait descendre ; elle fermait sa porte et ne reparaissait que