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le dégoût qui avait envahi toutes les âmes. Rome se crut en péril, et se défendit par le glaive. Il y eut, pendant trois siècles, une grande lutte, et telle que l’histoire n’en avait jamais connue, entre la force et la pensée. Ce fut la pensée qui triompha. Après avoir rougi tous les prétoires du sang de ses martyrs, la religion conquit l’âme de Constantin, et, dès ce moment, elle eut dans la main la puissance impériale. L’empire tomba, la société romaine fut dissoute, les hordes barbares accoururent de tous les points de l’horizon ; elles se taillèrent des royaumes dans les provinces de l’empire ; elles se firent des constitutions, elles établirent des droits et des coutumes, elles eurent leurs guerres intestines, leurs batailles sanglantes, leurs proscriptions et leurs grands hommes. Seul, le christianisme demeura debout, toujours semblable à lui-même, avec le même symbole, la même discipline, la même hiérarchie ; maître des rois barbares, comme il l’avait été des empereurs, seul lien visible entre le monde disparu et le monde qui s’organisait, gardant le dépôt de la civilisation et de la morale, mais le gardant avec un soin jaloux, et ne permettant pas à la pensée humaine de s’émanciper. Il ne savait pas, il ne voulait pas disputer ; il ne savait que régner. Il avait des prédicateurs pour les fidèles, des juges et des bourreaux pour les incrédules. Il était intolérant sans pitié et sans remords, parce qu’il regardait la liberté comme une chimère et un péril. Elle grandit pourtant sous les entraves dont il la chargeait ; elle eut par toute la terre ses martyrs et ses champs de supplice, comme autrefois le christianisme, quand il luttait pour la foi contre la puissance romaine. La liberté s’appela d’abord l’hérésie. Les cachots et les bûchers aidant, l’hérésie fit du chemin et elle s’appela la philosophie. Encore quelques siècles de guerres religieuses, de proscriptions et de massacres, et la philosophie devint la Révolution.

Il avait fallu bien longtemps à l’humanité pour se retrouver elle-même. Enfin, la voilà émancipée, en posses-