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sonne ; à peine est-il en prison que toute l’Europe s’émeut : c’est que le crime dont il s’agit est puni du bannissement perpétuel avec privation du droit d’hériter. La loi remonte à 1687 et au règne de Charles XI ; mais elle n’est pas abrogée ; et les juges sont contraints de l’appliquer en frémissant. Eh bien ! à cette même année, un catholique à Florence se convertit au protestantisme. C’est un honnête homme, personne ne le nie, un bon citoyen, un père tendre, un homme de cœur ; mais il s’est fait protestant, et il a distribué des bibles. Distribuer des bibles, c’est un crime, même à Florence, où depuis Léopold Ier l’inquisition est abolie[1]. C’est troubler gravement l’ordre public ; c’est attenter à la religion de l’État. Pourquoi ne naissait-il pas à Stockholm ? Il faut lire son interrogatoire. « Vous avez chez vous une bible ? (Notez que ce sont des chrétiens qui parlent.) — Oui, j’ai une bible, et je la lis chaque jour avec attendrissement et respect. — Vous faites plus : vous la lisez à d’autres ? — Je l’avoue ; quand mon fils revient du travail, quand mes amis ont le soir une heure de liberté, nous nous réunissons en présence de Dieu, et nous lisons une page de l’Écriture. » L’arrêt prononcé le 27 juin 1852, après dix mois de détention préventive, condamne Madiaï à cinquante-huit mois de travaux forcés, et Rose Madiaï, sa femme, à quarante-cinq mois de réclusion dans la maison de correction de Lucques. Il faudrait être allé au pénitencier de Volterra et y avoir vu François Madiaï confondu avec les brigands, pour savoir à quels sacrilèges usages les hommes peuvent plier les lois. Le comte Guicciardini, coupable du même crime, a échappé au sort des époux Madiaï, grâce à son rang et à sa fortune. Condamné d’abord à six mois de prison, avec cinq ou six complices, et exilé

  1. Je laisse à dessein subsister ce passage, écrit très-peu de mois avant la révolution d’Italie. Toutes ces vicissitudes sont autant de démonstrations en faveur de la tolérance et de la morale universelle.