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C’est ainsi, ô Seigneur, qu’aucune des couleurs et des formes des feuilles ne m’est indifférente, car elles me dévoilent l’âme de la nature, et m’évoquent mon propre travail jadis accompli dans la plante... Je sais ce que dans une feuille signifie chaque dentelure – car de chacune de ces formes mon âme se justifia par son propre travail...

Si donc, je mets en lumière la voie suivie par l’âme, mauvaise mais pleine de vitalité, qui lutte désespérée contre le vent des mers, vainc la résistance des éléments, s’élève vers le ciel puis retombe vaincue pour se recueillir et jaillir à nouveau dans les airs de toute sa force accumulée, ayant surpassé l’effort des éléments – si, autour d’une ligne qui va droit au but, par deux fois je dessine des courbes en zigzags aux angles aigus : j’obtiendrai la feuille épineuse du chardon, sa pâleur et comme le dessin du chemin suivi par cet esprit mauvais mais puissant qui, sous des angles interférés, travaillait dans cette plante à la conquête de sa forme.

Si j’ai, en revanche, à décrire cette âme non plus mauvaise mais forte uniquement et s’opposant avec une force plus grande à la nature, j’obtiendrai les angles arrondis sur ses deux bords, de la feuille de chêne, où l’âme oppose un arc au déchaînement des éléments et gravement s’élève dans sa puissance, comme les vagues de l’océan.

Mais si l’âme qui ne lutte qu’avec peu d’effort contre une faible résistance du monde, me décrit ce sentier qu’elle trace autour de sa ligne médiane, j’apercevrai alors, finement dentelée, la feuille de rosier, et je serai tout porté à croire que c’est là l’âme chez qui, ni le venin du serpent, ni la force du chêne, mais l’essence si légère de la beauté, et peut-être déjà son sentiment, pour la première fois vint au monde.

Et telle est aujourd’hui la voie de l’Âme humaine que fut il y a des siècles, le sentier qu’elle se fraya, alors que, feuille d’arbre, elle allait vers ses buts derniers.

Quelle merveille, ô mon Dieu, que ces formes créées par les âmes végétales dans leurs premiers efforts, formes qui devaient, par la suite aller se répétant dans l’organisation du monde, et dont certaines aujourd’hui font la gloire de l’invention humaine. Voici la Pâquerette, elle paraît n’être qu’une fleur, mais elle est en vérité une Nation entière, fixée dans un calice, gouvernée par un mâle unique – nation, dont occupent le centre les fleurs citoyennes, car elles travaillent et enfantent, tandis que, comme une armée d’ilotes, les blancs pétales montent la garde sur ses bords. Quand je considère, Seigneur, cette merveille première de l’âme créatrice, je vois déjà que de cette même âme l’œuvre suivante sera d’introduire l’essaim des abeilles, leur royaume, avec la servitude de la ruche et son gouvernement royal ; qu’il en sera de même dans les volées d’oiseaux et qu’enfin une forme pareille se révélera parmi les hommes sans qu’ils sachent que l’idée première d’une union et d’un