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pierres précieuses, dans le flamboiement où la vit saint Jean, se consumant incandescente dans l’infini des mondes.

Ô, mon âme, dans l’informité de ta première incarnation, il y eut déjà la pensée et le sentiment. Par la pensée tu préméditais des formes nouvelles, et par le sentiment, enflammée par les feux de l’amour, tu les demandais au Créateur, à ton Père. C’est toi qui ramenas ces deux forces en deux centres uniques de ton corps, dans le cerveau et dans le cœur. Ce que grâce à eux tu pus conquérir dans les premiers jours de la création, le Seigneur ne te l’enleva plus, mais, par la contrainte et la douleur, il força ta nature à créer des formes meilleures et provoqua en toi une puissance créatrice plus grande encore. Alors, effrayée et irritée de la résistance que t’opposait ton corps, tu commenças à dérouler au fond des mers des rubans argentés, et c’est ainsi que tu entras dans le troisième règne effroyable, celui des serpents. Il semble que ces troncs d’arbres calcinés ressuscitèrent d’eux-mêmes au fond des mers, changèrent leur moelle en système nerveux puis étendirent sur la terre leur pensée et leur cœur, non sans avoir auparavant envoyé en éclaireur leur pensée, munie de ses lampes oculaires, avant que de risquer leur cœur, avec une prudence qui témoignait de l’effroi de leur âme... Or, sur la mer tranquille, ô Seigneur, d’un reptile gigantesque je vois émerger la tête, la première tête qui se sente maîtresse de la nature entière, reine de toute perfection. Je vois comme, avec gravité, elle dévore des yeux le ciel entier, comme son regard rencontre le cercle solaire, et comme terrifiée, elle se cache au fond des ténèbres...

Après bien des années seulement, du règne séculaire des serpents, cette même tête osa sortir encore, en vue d’une lutte nouvelle avec le soleil – elle ouvrit la gueule... siffla – et dans ce sifflement elle reconnut le don qui lui était fait de la voix, qui avait dû, elle aussi, être conquise au prix d’un travail de l’âme. Timide, alors, elle revint au sein des ondes, pour chercher s’il ne se trouverait pas dans ses trésors élaborés dans le passé, quoi que ce fût de digne, dont elle Te pût faite l’offrande, ô Seigneur – pour la voix, ce chant du sentiment et de la raison, qui aujourd’hui, après des siècles écoulés, Te chante encore des hymnes, et se trouve être le lien et le mot d’ordre des âmes qui vont vers Toi.

Depuis lors, Seigneur, j’entends le monde empli des gémissements de la nature qui naît, j’entends les Lamantins dans les crevasses rocheuses dressées sur l’Océan, qui dans l’air embaumé implorent Ta pitié. C’est que progressivement conquise par le sentiment, leur âme souffre, Seigneur. Voici que près du cœur, en tant que sceau de l’amour maternel, apparaît le sein nourricier, voici que le sang des reptiles rougit, puis se transforme en lait (il est prédestiné à être plus immaculé encore et transformé en un liquide cristallin, limpide comme le diamant, le sang qui doit jaillir des blessures de Jésus crucifié). Voici enfin que naît cet ordre, cause d’effroi et