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Des siècles passèrent, Seigneur, mais mon âme, le long des jours passés, ne s’était pas une fois reposée. Toujours à l’œuvre, elle extériorisait sans cesse ses conceptions nouvelles sur la forme ; d’accord avec le Verbe planétaire, elle constitua le droit, puis elle se soumit à sa propre loi, afin de s’établir sur cette base ainsi posée et préméditer pour l’âme de nouvelles voies plus élevées encore.

Ainsi, ô Seigneur, dans les rochers déjà, comme une statue de parfaite beauté, l’Âme se trouve enclose, encore assoupie, mais déjà préparée à la forme humaine, et entourée par l’arc étincelant des pensées divines comme d’une guirlande à six tours. De cet infini, elle rapporta la science mathématique des formes et des nombres, qui aujourd’hui gît au plus profond de son trésor spirituel et semble faire partie intégrante de l’Âme sans qu’elle en ait aucune connaissance ni mérite ; mais Tu sais, ô Seigneur, que de ces éléments vivants se constitua la forme du diamant ; que de ces éléments mouvants, légèrement réunis et cherchant l’équilibre, les eaux se mirent à ruisseler, et tout était sur cette terre vie et transformation – mais il n’y avait pas alors ce qu’aujourd’hui nous appelons la mort, c’est-à-dire le passage de l’Âme d’une forme dans une autre.

Devant Toi, ô mon Dieu, j’assigne ces durs cristaux, qui furent jadis les corps premiers de notre âme, et que tout mouvement a aujourd’hui délaissés, vivants encore pourtant, couronnés de nuages et d’éclairs : car ils sont les Égyptiens de la nature première, qui pour des milliers d’ans se bâtissaient des corps, méprisaient le mouvement et ne se passionnaient que pour la durée et le repos. Que de foudres, Seigneur, frappant les rochers de basalte du monde primaire, que de foyers souterrains et de convulsions utilisas-Tu, afin de pulvériser ces cristaux et les changer en poussière terrestre – aujourd’hui, les éclats de ce que furent les premiers colosses élevés par l’Attraction spirituelle. Ordonnas-tu à l’Âme de se détruire elle-même ? Ou bien, terrifiée, a-t-elle précipité sur elle ces coupoles qu’elle-même avait élevées, pour obtenir enfin, des rocs émiettés, – du feu, la première étincelle, qui pareille peut-être à une lune immense, s’élança parmi le fracas des pierres croulantes, puis changée en une colonne flamboyante, se dressa sur la terre comme l’Ange Destructeur, pour s’étendre aujourd’hui au fond de la Terre, sous la croûte de cendre de nos travaux de sept jours.

C’est alors, ô Seigneur, que les premières âmes qui, dans le martyre du feu, s’en vinrent vers Toi, te firent la première offrande. Elles s’offrirent à la mort. Ce qu’était la mort pour elles, Tu ne le considérais, Seigneur, que comme l’assoupissement de l’Âme dans une forme et son éveil dans une autre plus parfaite, sans connaissance aucune du passé ni le moindre souvenir des visions d’antan. Ainsi, le premier sacrifice de cet infime mollusque qui Te pria, mon Dieu, de lui permettre, dans un morceau de pierre, la jouissance d’une vie plus pleine, puis de le détruire par la mort, fut déjà comme le symbole du sacrifice de N.-S. J.-Christ ; il ne resta pas stérile,