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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

tières et il fallait les casser à coups de crosses pour dégager l’entrée et permettre d’ouvrir. Deux jeunes filles moururent de froid. Le voyage dura quatre-vingt-seize heures… Nous ne pouvions plus nous tenir debout… tant nos pieds étaient gonflés et douloureux… Un mâtin, on nous apprit que nous traversions la Pologne. Le voyage n’était pas fini… Ce fut un immense et morne désert de neige où les villages étaient clairsemés, où les habitations, très rares, étaient à peine visibles sous l’amoncellement des avalanches qui s’y abattaient sans cesse. Nous étions résignés à mourir. Moi, je ne savais plus si j’étais vivante. C’était une torpeur dont on me tirait pour me forcer à avaler un peu de nourriture immonde… Dans le trajet, plusieurs des prisonniers et des prisonnières avaient été descendus. La plupart étaient emportés sur des brancards. Il arriva que je fus toute seule, vers la fin de ce voyage, qui était un martyre… Toute seule… Et quand on m’enleva du wagon, à la gare de Zosle, j’étais mourante… Pourtant, je me remis, pour souffrir… J’étais enfermée dans une étroite cabane de planches, qui dépendait du camp de Milejghany. Seule, toujours, et sans communication avec les prisonniers du camp, que je pouvais apercevoir par une lucarne large comme les deux mains réunies… J’étais au secret… à deux mille kilomètres de mon pays… dans le désert glacé… et je compris bien vite que j’étais l’objet d’une surveillance particulière… je le compris aux tortures dont on me poursuivait… Du reste, si je ne l’avais pas deviné dès les premiers jours, le major commandant le camp se fût chargé de me l’expliquer… Au bout d’une semaine, je comparus devant lui… Oh ! il ne recourut point aux mensonges. Il me dit : « Vous avez à vous plaindre, sans doute, de la façon dont vous êtes traitée ? » Et comme je ne répondais rien, il ajouta en riant : « Libre à vous d’obtenir un traitement meilleur… »