Page:Jules Mary - Les écumeurs de guerre.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
LES ÉCUMEURS DE GUERRE

sa blancheur de lys, apparut au milieu des fleurs comme une autre fleur languissante, privée d’eau depuis longtemps, mais toute prête à redresser sa tige.

Ce fut ainsi qu’elle s’avança sur le quai, parmi la foule.

Elle était toute souriante et en larmes.

Or, d’un des derniers wagons de ce long train de martyrs descendit une autre jeune fille, plus défaite et plus pâle que la première, en haillons comme la première. Sa démarche chancelante et peureuse, son amaigrissement, ses traits meurtris, ses admirables yeux battus sous le poids de soucis, d’épouvantes et de fatigues trop lourdes, accusaient chez elle plus de souffrances que chez les autres, comme si elle avait été, cette jeune fille, une créature de choix contre laquelle s’était exercée la barbarie calculée des Boches.

De même que l’autre, en un instant, elle fut entourée, encombrée, et l’on eût dit que les caresses se faisaient pour elle plus pitoyables et plus tendres, parce qu’on devinait en elle une victime plus malheureuse, un désespoir plus profond, l’affaissement d’une détresse immense.

Sans sourire ni pleurer, rendue sans doute insensible par trop de souvenirs d’horreurs, elle aussi, comme l’autre, fit quelques pas sur le quai.

Toutes deux, sans savoir, sans se voir, s’avançaient ainsi l’une vers l’autre.

Et la foule s’étant écartée tout à coup, elles s’aperçurent…

Sans doute qu’elles étaient bien changées, car elles se contemplèrent un instant dans une douloureuse et presque tragique hésitation.

Puis, des gerbes de fleurs déroulèrent de leurs bras, tombèrent à leurs pieds.

Leurs bras se tendirent.

Elles eurent un grand cri, cri de joie et cri de folie.