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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

du moulin, — qu’ils voulaient enlever à l’ennemi, — les deux paysans suivirent la voiture à la clarté de la lune…

Barbarat emmenait une vieille domestique nommée Pulchérie, la seule, de tous les gens de la ferme qui fût restée. C’était une bonne femme ratatinée et grêle, peureuse et pleurnicheuse, qui, dévotement, à genoux dans le char rustique d’où l’on n’avait pas pris le temps d’enlever quelques débris de fumier, récitait d’interminables chapelets pour se protéger contre les Boches. Elle poursuivait une idée fixe sur laquelle, en rougissant, elle revenait sans cesse :

— Ils violent toutes les femmes… Misère de moi ! S’ils allaient commettre sur mon corps le crime du péché mortel !…

Il lui semblait que sa laideur, ses soixante-dix ans, l’absence radicale de toute séduction ne la mettaient pas à l’abri de la catastrophe. Les deux paysans qui, en d’autres circonstances, s’en fussent amusés, en Ardennais gaulois qu’ils étaient, ce jour-là avaient trop grande tristesse et ne pensaient point à en faire des gorges chaudes.

Le cortège misérable suivait la route de Reims.

Souvent, la cohue s’arrêtait à cause de l’encombrement. Alors, il fallait laisser passer les régiments, les équipages, l’artillerie, les camions bondés de blessés. Après quoi, la route devenue libre, on se remettait à avancer péniblement.

L’antique cheval, la tête entre les jambes, tirait le barou à hue et à dia… Il avait l’air si triste, lui aussi, qu’on eût dit qu’il prenait sa part du malheur des hommes. On n’avait pas besoin de le guider et Rose-Lys le laissait brinquebaler comme il voulait, comme le portaient ses jambes raidies, de telle sorte que par instants il s’arrêtait pour réfléchir, après quoi il repartait d’une brusque secousse, qui réveillait Rolande et lui faisait ouvrir ses yeux sans lumière.